A propos des ateliers d’écriture

 

Non seulement on écrit beaucoup dans les ateliers mais les ateliers font beaucoup écrire. On connaît les travaux précurseurs de Claire Boniface (« Les ateliers d’écriture », Retz, 1992) qui analysent les horizons d’écriture ainsi ouverts. J’aime la formule immédiatement parlante qu’elle a de les classer, selon les axes de travail qu’ils privilégient, en deux versants : le versant « expression » et le versant « production ».
Pour faire vite, l’ « expression » favorise les démarches pour « débloquer » l’expression chez un individu ; les approches sont volontiers ludiques (on parle de « jeux d’écriture » et c’est là qu’on retrouve nombre de propositions de l’Oulipo, l’OUvroir de LIttérature POtentielle de Queneau et Pérec). Le versant « production » met l’accent sur l’expérience de la langue, sur la construction, la stylistique, il se rapproche de ce que je sais des modèles américains (les « writer workshops »).
Je pense que l’intervention d’un écrivain ne se justifie que si l’on prend la seconde option : celle de travailler la langue. Sinon, un « animateur d’atelier » a parfaitement sa place – ou un psy s’il y a une volonté thérapeutique. Sur ce point, je suis lassé d’entendre des écrivains justifier leur atelier par ces « enfants qui se sont miraculeusement débloqués » (et qui sont généralement, pour que l’impact communicationnel de la chose soit plus fort, parmi les plus mauvais élèves de la classe !) ou, pire, sur ces « enfants que l’on a aidés à surmonter tel problème ». Non ! Un écrivain n’est pas un thérapeute et, même lorsqu’il se trouve confronté à des « révélations », il ne doit pas se risquer à les prendre en compte pour telles.

C’est pourquoi j’érige en règle absolue le fait suivant : en atelier, ce qui s’écrit, ce sont des fictions. Y compris lorsque cela prend tous les aspects de la « véracité » que l’on veut, du genre journal, lettre, etc. Je m’inscris donc en désaccord total avec un ami que j’aime beaucoup, Thierry Maricourt (« Les ateliers d’écriture : un outil, une arme » et, tout récemment, « Aux marches du savoir : les ateliers d’écriture »). Désaccord total quand, à des détenus, il fait raconter leur histoire. Il se trouve d’ailleurs qu’indirectement et sans qu’alors nous nous connaissions, ce désaccord s’est concrétisé à la maison d’arrêt de Liancourt (Oise). J’y fus instituteur deux ans en 83-85. Epoque bénie de Robert Badinter en Garde des Sceaux et d’un directeur au nom prédestiné de Jean Macé ! J’y créai un mensuel, « A contre-courant », rédigé par les détenus sous ma responsabilité. Nous ne sommes pas des enfants de chœur et nous savons bien quel est le poids de l’institution. Toujours est-il qu’en deux ans et, je crois, huit numéros, nous avons frôlé plusieurs fois les problèmes (avec les surveillants) mais sans jamais provoquer l’affrontement. J’avais même obtenu des autorisations de sortie d’une journée pour que certains détenus aillent démarcher des encarts publicitaires aux environs… Quelques années plus tard, Thierry Maricourt participa à une action menée par l’association socioculturelle d’intervention en prison (le SPIP, je crois) comme écrivain en charge de la réalisation du journal. Il n’y fit pas un numéro car immédiatement certains articles furent interdits. Il hurla à la censure et démissionna. Il a écrit là-dessus un texte très instructif dans « Picardie, autoportraits » (Ed. de la Wéde). Je ne sais ce qui est le plus à blâmer, de cette incroyable naïveté à croire qu’en prison on peut tout écrire (et en l’occurrence tout écrire sur les surveillants !) ou de cette irresponsabilité qui pousse un écrivain à laisser croire à des détenus qu’avec lui ils vont pouvoir tout écrire. Je ne laisse jamais entendre aux élèves qu’avec moi ils vont pouvoir tout écrire.

C’est pourquoi je tiens toujours à circonscrire le cadre du travail. Avec un thème le plus souvent, avec un ton (le travail sur les registres de langage est très encadrant), avec l’idée centrale pour moi – car c’est vraiment à l’écrivain d’assumer cette dimension – que nous écrivons pour un lecteur (et pas pour les petits copains). Je suis effaré quand je lis les travaux menés à travers de prétendus ateliers de slam dans lesquels les collégiens ressassent à l’envi leur mal-être dans « cette boîte pourrie »… Non ! Ils n’ont pas besoin d’un écrivain pour ça. L’écrivain est, dans cette entreprise, le garant que ce qui s’écrit intéressera un vrai lecteur, quelqu’un d’anonyme, que l’auteur ne connaît pas et qui ne connaît pas l’auteur.
Un bémol à ce que je viens de dire : je n’écris pas de slam et, à vrai dire, je ne le goûte pas du tout. Il faut donc, si l’on veut écrire du slam, faire appel à un auteur qui le pratique. Et c’est aussi une règle que je vois trop souvent bafouée : celle des territoires d’écriture. Un atelier doit, à mon sens, se mener dans les genres d’écriture que l’auteur pratique. C’est pourquoi je n’entreprends pas d’atelier poésie, ni d’atelier d’écriture fantastique. Inversement, lorsque l’on est sur des territoires d’écriture que l’on arpente régulièrement, il se crée un véritable va-et-vient entre le travail d’atelier et sa propre écriture. C’est, en mon cas, particulièrement vrai de l’écriture dramatique. J’ai beaucoup fréquenté le théâtre à un moment donné de ma vie, j’ai vu énormément de spectacles et lu énormément de textes. Je me suis risqué à l’écriture il y a deux ans. Juste à ce moment le Théâtre du Beauvaisis m’a proposé d’animer des ateliers d’écriture théâtrale : il s’agissait de faire écrire les élèves à partir d’un spectacle qu’ils avaient vu. Guy d’Hardivillers, qui me traîna de salle en salle et passa sa vie dans le monde théâtral, m’écrit à propos de l’envoi de mon dernier texte, « Vingt ans », ceci qui traduit bien ce lien entre l’écriture et l’animation : « Je sais que l’envie de t’essayer du théâtre t’est venue de ton expérience d’animation des ateliers d’écriture. Je vais te dire : tu fais montre, selon moi, dans cette seconde pièce, de la même simplicité, de la même naïveté – dans la belle acception du terme – et de la même sincérité que celles dont ont pu témoigner les ados que tu y encadrais. Avec, en plus, naturellement, un beau et réel savoir écrire. Me comprends-tu ? Entends-tu qu’il s’agit là, selon moi, d’un beau compliment ? »

Quant au rôle de l’écrivain, je m’en fais une très haute idée. J’ai toujours en tête le souci de justifier ma présence – et ma rémunération – par un apport qui me soit spécifique. Le fait de « rassurer » l’enseignant et les élèves ne suffit pas, le fait de « donner envie » aux élèves ne suffit pas, il faut en plus les « accompagner » dans l’écriture. C’est-à-dire leur faire parcourir, à leur rythme mais avec la volonté d’avancer, le chemin que j’ai moi-même fait sur la voie de l’écriture : comprendre que c’est un travail, qu’il faut apprendre un certain nombre de choses, qu’on les apprend essentiellement par la lecture et par la discussion, qu’on les apprend autant en discutant de ce qu’écrivent les autres que de soi-même. En un mot, se poser des problèmes d’écriture.
L’orthographe n’est pas un problème d’écriture, la constitution d’un personnage si.
La concordance des temps n’est pas un problème d’écriture, le registre de langage si.
La véracité d’une narration n’est pas un problème d’écriture, l’intérêt du lecteur si.
Je ne suis pas sûr de ce que je fais mais je constate que deux des composantes des ateliers que je propose semblent avoir quelque efficacité.
1°) On écrit seul. Parce que c’est très difficile d’écrire à deux et impossible au-delà. Même un tract syndical ne s’écrit pas à dix. Je sais que l’entreprise a quelque chose de démesuré quand je me retrouve par exemple au collège de Lamorlaye, avec 26 élèves, ce qui donnera au bout du compte 24 textes à suivre (deux élèves seront absents chroniques), ou quand je suis, au collège Michelet de Beauvais, face à treize textes dramatiques qui s’écrivent. Si je devais évaluer l’ampleur du travail, une petite multiplication permet d’approcher la réalité : 6 corrections de ma part à raison de 15 minutes en moyenne, par texte. Soit, pour les 13 textes dramatiques, 19 h de relecture et corrections (à domicile) plus les 12h des six séances collectives. A quoi j’ajoute – parce que je tiens à matérialiser le travail par le maquettage d’un petit livret – une douzaine d’heures sur Quark X Press. Mais le résultat est satisfaisant. Face aux écritures théâtrales, j’incite toujours les élèves à s’y lancer seuls mais, s’ils se sentent trop déstabilisés, j’accepte les binômes. Les trios fonctionnent toujours moins bien.
2°) Ce n’est pas l’élève seul qui produit son texte. Cette affirmation peut sembler en contradiction avec la précédente mais la contradiction n’est qu’apparente. J’accompagne chaque texte de A à Z. Pour moi « accompagner » signifie : faire des remarques à toutes les étapes du travail ; conseiller, proposer d’autres formulations, attirer l’attention sur tel ou tel point ; prévenir lorsque l’élève s’engage dans une voie sans issue ; encourager toujours et souligner les réussites langagières. Ne pas laisser l’élève seul face à ses insuffisances si elles peuvent être comblées partiellement. Il ne s’agit pas d’écrire à sa place mais, parfois, de lui montrer comment résoudre un problème d’écriture. En ce sens le texte final comporte aussi des éléments qui viennent du professeur et d’autres de l’écrivain. Pourtant le texte persiste à être celui de l’élève, et il le ressent comme cela. L’une des règles que j’expose d’emblée est : je vous dis tout ce à quoi je pense en vous lisant mais c’est vous qui décidez de ce que vous prenez en compte ou pas, c’est vous qui écrivez. C’est pourquoi j’ai trouvé la forme de communication qui permet cela : le mail. Les élèves m’envoient leur texte par mail – ou, le plus souvent, je les retape moi-même, ce qui me permet de m’organiser entre deux séances. Je surligne abondamment dans les textes et note mes remarques. Je renvoie par mail – toujours un envoi double, à l’élève et au professeur ; je n’ai jamais d’échange personnel avec un élève en dehors du professeur. Souvent il arrive que quelques élèves profitent de ces échanges pour écrire chez eux et renvoient donc des étapes intermédiaires de leur texte. Cela traduit toujours une adhésion enthousiaste au projet.
Je lutte contre la tendance des enseignants à « sacraliser » le texte de l’enfant et du jeune. Sous couvert précisément de ce droit à l’expression. Ce serait donc un droit qu’ils n’auraient qu’en français et pas en maths ou en géographie ? Non ! Un atelier d’écriture, c’est très simple : c’est un endroit où l’on travaille la langue. Travailler, à l’école, ça veut dire apprendre, raturer, recommencer, avoir des fulgurances et des révélations mais, en aucun cas, être dans une immanence de la parole.

Un petit jeu pour finir
J’explique toujours aux élèves qu’écrire c’est ne pas écrire. J’en ai fait un jeu : on prend une phrase simple, du type sujet verbe complément ou même plus simple, sur le temps qu’il fait. Chacun doit ensuite exprimer la même idée sans jamais reformuler une phrase dite précédemment. Quand on a fait deux fois le jeu, on se rend vite compte que l’on peut faire cinquante phrases pour dire « Ce matin il fait soleil ». Ecrire « Ce matin il fait soleil », c’est donc renoncer à écrire les quarante-neuf autres phrases qui auraient pu le dire.

J’oubliais…
Une chose en laquelle je crois et que j’ai malheureusement mauvaise conscience de faire très insuffisamment : un atelier d’écriture a évidemment pour finalité de donner envie de lire. J’essaie de démarrer chaque séance (de deux heures) par une brève lecture. Bref passage de ma lecture du moment (c’est plus intéressant que de lire un de mes textes), ou d’un de mes livres favoris (je me souviens de choses aussi contradictoires avec la même classe de 4ème Segpa que « Le rapport de Brodeck » de Claudel et « Novecento pianiste » de Baricco). C’est important de faire entendre des langues, des rythmes, même si certains textes se prêtent moins bien à l’oralisation.
Je regrette de ne pas appuyer chacune de mes remarques sur un texte d’écrivain qui mettrait en œuvre ce que j’énonce. De ce point de vue je trouve passionnant le parti-pris d’Odile Pimet et Claire Boniface d’ancrer leurs propositions d’écriture sur un texte d’écrivain (« Atelier d’écriture, mode d’emploi : guide pratique de l’animateur » aux ESF).

Roger Wallet
juillet 2010