le héros blessé au bras

Châteaureynaud

 

le héros blessé au bras

Relire Châteaureynaud. Ce recueil déjà ancien contient au moins deux chefs-d’œuvre. Et des splendeurs.

Quelqu’un m’avait parlé du « Verger » comme d’un texte de référence sur la Shoah. Je dis cela avec une impertinence voulue. N’ai-je pas encore entendu, il y a peu, les organisateurs qui gèrent les déplacements d’élèves à Auschwitz reprocher à Jean-Pierre Cannet d’avoir fait écrire à des lycéens des textes « de fiction » sur le sujet ? Ceci me rappelle un différend persistant que j’ai avec Thierry Maricourt : il fait écrire les détenus sur leur vie, là où résolument et définitivement je choisis la fiction. Idem pour la Shoah.

Il ne faut pas confondre la réalité et la littérature. Dans « Le verger » donc, Châteaureynaud raconte qu’un enfant échappe miraculeusement à la file qui va vers les douches du camp et se retrouve dans une sorte d’île souterraine où il survit. Mais le souvenir des autres le hante et il n’aura de cesse de se glisser à nouveau dans la file où il sait qu’est sa place.

Cette façon qu’a, physiquement, Châteaureynaud de glisser de la réalité dans la fiction – ici par ce trou béant qui s’ouvre sous les pas de l’enfant et se referme derrière lui – il l’exploite à nouveau, au tout début du recueil, dans « Le voyage des âmes ». Et voyez comme en nous les livres se répondent : j’ai toujours rapproché ce texte du roman terrible de Boyden, « Le chemin des âmes », sur la guerre de 14. Ici, de guerre, pas. Mais la vieillesse. Le vieil homme est invité à monter dans le carrosse où attendent déjà d’autres voyageurs. C’est le soir, on roulera donc de nuit. Le fouet claque, les chevaux trottinent. Le paysage change, la campagne s’égaie et le jour vient. Un bel été, on sort le pique-nique, on boit, on rit. Mais le temps passe, on remonte en voiture, les chevaux s’emballent, on est bientôt à la frontière. Les voyageurs descendent, le postillon fait claquer son fouet qui les disperse en mille particules...

Tout, dans ce récit, est tenu, maîtrisé, pas de longueurs, pas de sentimentalisme erroné, on a le cœur constamment en éveil.

Je relisais, dans la nuit, la plus courte des nouvelles,
« Sortez de vos cachettes » sur, une nouvelle fois, les fantômes de la vie quand vient son automne. Le dernier automne, parce qu’après les petits-enfants auront grandi et n’égaieront plus les allées du jardin. Et le vieil homme, parcourant seul les allées, voit surgir des fourrés les monstres qu’il a toujours voulu garder à distance. Ceux des promesses non tenues, des serments trahis, des amours gâchées. Plus douloureux peut-être encore...

Ce sont les psychologues et les médecins qui travaillent sur la réalité, les historiens. Je n’ai pas besoin d’avoir eu un grand-père fusillé en 1917 pour m’émouvoir à chanter « Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes... »