Vingt ans


 

2010

Distribution

Ces gens-là avaient vingt ans au moment de la guerre (il y a de cela… au moins trente ans).
De cette époque de la guerre :
« L’autre », en ce qu’il n’est pas comme « les autres » soldats
« Traviole », « La Balafre », « Le Furet », trois soldats dans la norme
« La jeune femme », une « rebelle »
« La vieille femme », sa mère
D’aujourd’hui :
« Le vieux », qui fut ami et compagnon d’arme de « L’autre », la cinquantaine
« Le jeune », le fils de « L’autre », 30 ans

Scénario

Un jeune homme s’interroge sur la vérité des faits concernant la jeunesse de son père et notamment la guerre à laquelle il a pris part. Il découvrira la réalité humaniste de ses engagements et l’étrange histoire d’amour qui le liera à une jeune femme dont il a organisé l’évasion pour la faire échapper à ses tortionnaires, ses propres compagnons d’armes.
De révélation en révélation, il comprendra, au bout de l’histoire, pourquoi son père s’est suicidé : cette jeune femme était la chef d’un réseau « terroriste ».
Bien sûr le rapprochement avec la guerre d’Algérie est tentant, et même plausible, mais la pièce gagnera à être décontextualisée. Il s’agit d’une situation de guerre – comme toutes les guerres en comportent.

Dramaturgie

Il s’agit d’une écriture « naturaliste » au sens où l’utilisent des auteurs comme Besnehard, dont je me suis ici rapproché (cf. « Passagères », « L’étang gris », « Arromanches », « L’ourse blanche »…). Les dialogues sont « réalistes », même si certaines scènes sont de l’ordre du rêve éveillé : ainsi (cf. extrait ci-après) cette scène où la jeune femme évoque les tortures qu’elle a subies en présence de ses tortionnaires.
L’écriture doit beaucoup, dans l’atmosphère, à deux lectures anciennes que j’ai reprises : « La question » d’Henri Alleg, dénonciation absolue de la torture, et « Nouvelles de la zone interdite » de Daniel Zimmermann. Deux lectures indispensables.

Durée

Autour de 75 minutes.

 



     

Un extrait

 

La scène qui suit se situe à la mi-spectacle.

9
La jeune femme, comme à la scène 7. Elle a les mains liées dans le dos. L’entourent « La balafre », « Traviole » et « Le furet », immobiles et silencieux.

LA JEUNE FEMME – Combien de jours et de nuits cela a-t-il duré ? Onze, j’ai su après. Quand ils m’ont mis les pinces - (Elle porte la main à sa poitrine.) – au bout des seins, j’ai cru que la douleur allait m’éventrer. Cette fois-là, ils ont dû me transporter. J’étais incapable de marcher. Ils m’ont jetée sur une paillasse. Quand ils sont venus me rechercher, deux heures plus tard, j’étais encore comme ils m’avaient laissée tomber.

TRAVIOLE – Alors, t’es décidée à parler ?

LA JEUNE FEMME - … a demandé le premier. J’avais les mains attachées très haut dans le dos. Le plus grand m’a redressée à moitié et m’a giflée. J’étais épuisée. Je ne cherchais même plus à me protéger des coups.

LA BALAFRE – Puisque t’as rien à dire, on va varier les plaisirs…

LA JEUNE FEMME – … a dit le plus grand. Ils m’ont emmenée dans une autre pièce. Ils m’ont allongée sur une planche. J’étais nue. J’étais au-delà de la honte. Je n’avais même pas conscience d’être nue, je ne suis pas sûre qu’ils en avaient conscience eux-mêmes. Mon corps ne les intéressait que pour les limites de sa résistance. Ils m’ont entouré la tête d’un torchon. Ils m’ont maintenu les mâchoires écartées avec une cale de bois. Puis ils ont mis la planche sur l’évier et ils ont ouvert le robinet. L’eau coulait au bout d’un tuyau de caoutchouc rouge. Le gradé est arrivé. Il a demandé :

LE FURET – Elle est prête ?

LA BALAFRE – Affirmatif !

LA JEUNE FEMME - … a répondu l’autre. Le gradé n’a pas eu un mot. Il a empoigné le tuyau et me l’a enfoncé dans la bouche. J’essayais de rejeter l’eau mais ils me maintenaient la tête pour m’obliger à l’avaler. Au moment où je suffoquais, il a arrêté le robinet. Il regardait sa montre, il chronométrait. Une longue habitude de la chose, un professionnel… A peine m’avaient-ils laissée reprendre souffle qu’ils ont recommencé. Cette fois, j’ai vite été submergée. C’était atroce, ce sentiment que l’on va se noyer. J’étais au bord de l’évanouissement quand ils ont stoppé l’eau. Ils m’ont enlevé la cale de bois, je haletais terriblement. Le gradé m’a asséné de toutes ses forces un coup de poing dans le ventre. J’ai eu un haut-le-cœur et l’eau m’a dégouliné par la bouche et par le nez. Il a recommencé et je me suis mise à hoqueter en tremblant, sans retrouver mon souffle. Il m’a dit :

LE FURET – Tu vois, c’est comme ça que tu vas crever… Comme un rat… Sans que personne le sache, sur un évier de cuisine…

LA JEUNE FEMME – Il me regardait droit dans les yeux mais presque sans haine, avec une terrible indifférence.

LE FURET – A toi de choisir. Nous, on a tout notre temps. Mais aucun n’a tenu plus de trois fois là-dessous… Alors ?

LA JEUNE FEMME – J’avais un peu repris haleine. Assez pour répondre : « Je ne sais pas de quoi vous parlez »… Il a juste fait un signe du doigt. Le plus grand m’a entré de force le tuyau dans la bouche tandis que l’autre m’emprisonnait la tête. L’eau m’a envahie, l’eau m’a inondée. Je mordais dans le caoutchouc de toutes mes forces. Le gradé a avancé la main vers moi et m’a pincé le nez entre le pouce et l’index. L’eau m’a étouffée. J’ai perdu connaissance.

TRAVIOLE – On l’a étendue sur le matelas. Elle était nue. Je voyais son ventre ballonné, prêt à éclater…

LA BALAFRE – On est restés un peu à la regarder. Avec ses petits seins et ce ventre énorme que ça lui faisait. On l’aurait crue enceinte.

LA JEUNE FEMME – Je ne me suis pas réveillée. Je n’ai pas senti que quelqu’un me couvrait d’un drap, me portait sur le dos… Je n’ai pas senti qu’on sortait en pleine nuit et qu’on m’allongeait à l’arrière d’une jeep, sous une couverture… Tant sont partis ainsi pour ne jamais revenir…

LA BALAFRE – L’évasion a été signalée à …

TRAVIOLE – C’était rare, les évasions. Difficile de nous filer entre les pattes.

LA BALAFRE – On n’a jamais su qui était la lotte pourrie qui était derrière ça…

LE FURET – J’avais ma petite idée…

« L’autre » arrive du fond de scène obscur et vient se placer derrière la jeune femme.

L’AUTRE – Elle gisait. C’est le mot qui m’est venu quand je l’ai vue nue sur sa paillasse. Comme les gisants qu’on voit dans les cathédrales. Elle avait quelque chose du marbre, la souffrance avait gravé les traits de son visage. Son ventre était horriblement gonflé. J’ai pensé à ma femme, au petit qu’elle portait. – (Il entoure la jeune femme de ses bras et lui caresse le ventre.) – Après, je n’ai pas réfléchi. Simplement ça m’était insupportable qu’elle meure là. Son corps était flasque, comme déjà mort. J’ai noué ses mains autour de mon cou. Elle est restée sans réagir. Je suis sorti dans le couloir. J’entendais de faibles plaintes derrière les portes, des gémissements, comme un sanglot. Je suis passé par le sous-sol, je savais qu’il n’y avait pas de garde par là la nuit… - (Il met la jeune femme dans son dos et passe ses bras autour de son cou à lui.) – La jeep, sortir du camp… Il a fallu un petit miracle pour que personne ne m’arrête… - (Un silence.) – J’ai roulé dans la nuit de printemps, pleine de parfums et de bruissements. Je me suis dit : Si elle doit mourir, que ce soit là… Je ne savais pas où aller. J’ai pris un chemin qui grimpait la colline en serpentant. Je me suis arrêté en apercevant les premières maisons. J’ai soulevé la couverture. Son pouls battait faiblement. Je l’ai prise à bras et j’ai fait quelques pas. C’est alors que j’ai entendu le clac ! clac ! des culasses. Très vite ils m’ont entouré. Ils n’ont pas dit un mot. Ils l’ont regardée. L’un d’eux l’a emportée dans la nuit. Un autre me braquait avec une torche pendant qu’un troisième me tenait en joue. Mais je n’étais pas armé, ils l’ont vérifié. J’ai dit : « Je vous la ramène, je ne sais pas… » Celui qui tenait la lampe m’a fait signe de me taire. Il a éteint. J’ai entendu leurs pas s’éloigner. C’était une belle nuit, une nuit magnifique. Le cœur me cognait comme un fou. J’aurais pu rester là sans bouger. A attendre le frais du petit matin. Cette femme, je me souvenais déjà de son odeur…


     



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